Je regarde cette fillette assise à côté de moi dans le train et je ne peux pas m'empêcher d'avoir une bouffée de nostalgie. C'est parce que je crois que je me vois un peu. Elle ne tient pas en place, assise à côté de sa grand-mère.
Elle veut de l'eau, une histoire, savoir pourquoi on annonce déjà la gare puisque le train n'y est pas encore arrivé, aider son petit frère à ouvrir sa bouteille d'eau, regarder sous la tablette, colorier, faire rigoler papi... Et pendant tout ce temps, de sa petite voix flûtée, elle parle, parle, parle...
Sa mamie lui demande de se taire. Son papi trouve qu'elle gesticule trop. Son petit frère se marre en la regardant d'un air d'adoration.
Je la regarde en souriant, je reconnais ces cheveux fous qui s'échappent de la coiffure stricte qu'on a tenté de lui faire le matin et qui a probablement lâché quelques mèches avant même de sortir de la maison, je sais la sensation de maladresse extrême quand on se cogne pour la énième fois sur le même coin du fauteuil et que les autres ont remarqué, j'imagine aussi sans peine la frustration qui est la sienne quand elle se renfrogne, la moue boudeuse, parce qu'on vient de la couper dans son élan vers une idée qui lui paraissait lumineuse.
Je me dis qu'elle a de la chance, d'être entourée de gens si gentils et visiblement aimants. Pourtant, j'ai envie de dire à cette grand-mère à l'air gentil que même si ça ne paraît rien, elle doit arrêter de répéter encore et encore "doucement, on n'entend que toi dans le train !". D'accord parce que ce n'est pas vrai, presque personne ne remarque cette famille, on somnole ou traficote sur les téléphones. Ensuite parce que même si ça n'a l'air de rien, ces phrases font mal, vraiment pas très fort mais très longtemps.
Ces appels au silence, ces rappels à rentrer dans le rang au moindre détail donnent des proportions immenses aux reproches futurs quant à un enthousiasme un peu trop débordants et aux chicaneries sur la tendance bavarde et aux "t'as vraiment la bougeotte, toi."
Oh bien sûr, on s'en remet et on se défend. Personne n'est mort. Mais je trouve notre société déjà sur une pente si laide, avec ses envies de plus en plus fortes d'imposer à tous un ordre moral unique, un code de conduite général... Laissons les enfants être un peu en dehors des cases, juste un petit peu. Peut-être que de cette façon, on parviendra à diminuer un tout petit peu notre tentation collective de revenir à un ordre qu'au fond personne n'a jamais connu. J'ai envie de pouvoir encore être dérangée par quelques esprits libres. Pour moi, ils sont le rempart contre la pensée unique. Et on l'aura compris, je ne suis pas très amie de la pensée unique.
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Émue.