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déambuler

  • des pas

     

    Aurélie l'auteur coquelicot, elle m'a permis de me rendre compte que je n'ai jamais partagé ce texte ici avec vous. Il parle pourtant de cette ville si ancrée à ma chair et si loin aussi de moi.

     

     

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    Il faisait toujours nuit à son arrivée. Ou au moins huit mois sur douze. Parce qu'il arrivait toujours le plus tôt possible. Pour le plaisir. Parce que la nuit, tout a l'air plus mystérieux. Il aimait avoir la sensation que les rues lui appartenaient, il jouissait du plaisir de voir les fenêtres s'allumer sur les façades, il imaginait à quoi ressemblaient les vies qui s'éveillaient lentement, il croyait pouvoir partager à distance le petit bonheur de la routine matinale ensommeillée. Il était persuadé que le jour naissant recelait des dizaines d'énigmes, de secrets et de rêves qui ne voulaient pas s'évanouir, il aimait croire que ses pas le menaient malgré lui vers les lieux des plus inextricables intrigues.

    Pourtant, il ne faisait lui-même rien de bien mystérieux à Toulouse : il était étudiant en économie. Et il n'avait même pas cours tous les jours. Mais tant pis. Ou tant mieux. Le temps libre entre ses cours, il l'occupait à déambuler, à découvrir de nouvelles ruelles, à regarder derrière les grands portails des hôtels particuliers si par hasard, une tour, vestige de la gloire capitulaire, ne trônerait pas au milieu de la cour.

    Chaque jour, il prenait le métro et descendait à une station choisie en fonction de son humeur et de l'heure à laquelle aurait lieu son premier cours. En descendant à Patte d'Oie, il pouvait se délecter de la façade de l'Eglise du Sacré Coeur, il en touchait souvent le mur de briques roses derrière lequel se cachait la cour de l'église. Il continuait ensuite jusqu'aux bains douches qui abritaient aujourd'hui un poste de police et un de ces nombreux parkings tenus par Michelange. Il se trouvait alors face à la station de métro Saint Cyprien république. Et là, chaque fois, il hésitait sur la route à suivre : allait-il tourner à gauche vers le pont des catalans ? Les anciens abattoirs désormais musée d'art moderne offraient une très belle perspective mais les allées Charles de Fitte n'étaient pas très glamour.

     

     

     

    Depuis que le pont Saint-Pierre n'était plus suspendu, longer l'hôpital de la Grave lui plaisait beaucoup moins, parce qu'il savait qu'il n'en sentirait plus vibrer le tablier. Sachant que son but était l'ancienne manufacture des tabacs, il savait bien que passer par le Pont Neuf rallongerait beaucoup sa route, cette option ne pouvait être choisie que s'il avait du temps devant lui. Ce détour, il ne le faisait jamais sans un petit pincement au cœur, celui que cause cette émotion indéfinissable, née de l'anticipation du plaisir que l'on va éprouver. Car passer par le Pont Neuf, c'était longer la Garonne par le Quai de la Daurade... Le quai de la Daurade, bordé par la Garonne et les Beaux-Arts, son trottoir parsemé de bancs et de platanes, ses façades de vieux immeubles roses étincelant au soleil levant.

    Quoi qu'il en soit, il lui fallait choisir un chemin puisque qu'il devait traverser la Garonne. Il serrait contre lui ses feuilles de cours et reprenait la marche, savourant par avance sa prochaine pause, celle qui lui permettait de s'abîmer dans la contemplation des eaux trompeuses de la Garonne. Il la regardait du haut du Pont des Catalans, admirant tour à tour le dôme de La Grave ou le flot en partance vers l'Atlantique. S'il passait par le Quai Saint Pierre, il s'arrêtait pour contempler les remous à hauteur du Bazacle, il s'amusait de voir grandir le saule planté là où le canal de Brienne se jetait dans le fleuve. Au printemps, il profitait même des premières lueurs du jour dont les rayons diffus transperçaient à peine la ramée des platanes et il bayait aux corneilles, attendant de voir trottiner les premiers enfants cartablés, en route vers l'école primaire sur la place de la Daurade. Leurs petits pas pressés étaient le signal du départ : il allait être en retard.




    Et il fallait bien entrer dans l'amphi et suivre les cours. En trois ans passés sur les bancs de la fac, il ne s'était pas fait un seul ami. Il n'était pas désagréable, il n'était pas non plus repoussant, c'est juste que parler en cours lui ferait perdre du temps. Ses heures de cours, il les passait à tracer son chemin du retour. Aller vers le centre ville, contourner par les boulevards circulaires ? Se reposer au musée des Augustins, dormir sur les bancs de Saint Sernin ? Il y avait encore tant de lieux dont il ne connaissait pas encore chaque recoin par cœur, il avait envie d'absolu. Il ne pouvait pas repartir de Toulouse en ne la connaissant pas par cœur. Alors il notait sans fin ses impressions, il comparait sa vison du Capitole de jour en Août et celle de nuit en Décembre.

     

    Heureusement pour lui, il vivait seul depuis qu'il était entré à l'Université, il n'avait de ce fait aucun horaire à respecter. Personne ne s'inquiétait de ses errances. Ses parents étaient restés à 300 kilomètres de lui, dans la maison où il avait vécu depuis sa naissance. Un endroit éloigné de tout voisinage, une maison dont les trois occupants vivaient presque en autarcie. On pourrait penser que ce passé expliquait la nature contemplative du marcheur mais ce n'est pas le cas. A l'école, cet étudiant rêveur avait toujours été très volubile, il était plus chef de file que suiveur, toujours à inventer des coups pendables, à faire tourner en bourrique les professeurs et les voisins de classe. Nul doute que ses parents seraient forts étonnés de se rendre compte que leurs pronostics s'avéraient erronés. Ils étaient en effet persuadés que « la ville » était l'endroit idéal pour que leur fils donnent libre cours à sa fantaisie, que le bruit, l'activité incessante toulousaine lui permettrait d'être enfin en phase avec son environnement. Ils ne pouvaient absolument pas s'imaginer ce que leur enfant avait trouvé au milieu du chaos. Peu importe le bruit, les gens, le temps, il marchait. Il découvrait. Il s'émerveillait. Pas d'ennui, pas de dépression, pas de mélancolie. Les gens le croisant le prenaient parfois pour un fou, ce promeneur insensible aux intempéries qui marchait la tête haute, le sourire aux lèvres. Il avait trouvé la plénitude, il savait qui il était et connaissait ses rêves.

     

    Toulouse lui avait porté la paix.