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  • Tourner des Pages

     

    Quand je tourne la page, souvent je me demande ce qui m'attend après. J'aime bien compter les pages qui restent, pour tenter de savoir s'il me encore beaucoup de rebondissements à attendre. Parfois je m'inquiète que tout soit bâclé parce qu'il reste un petit chapitre pour tout dénouer, d'autre fois, je tourne la page un peu désabusée, craignant que rien de bien passionnant ne puisse être espéré au vu de l'ennui qui m'habite depuis le début du roman...

    Pourtant, je tourne la page, toujours. Pour savoir. Je ne sais laisser aucun livre non fini.

     

    Je tourne la page sur mes maux de ventre et les nuits perturbées par le chagrin violent de l'humiliation. Parce que stop, cette partie de notre amitié ne doit pas connaître une péripétie de plus. Le chapitre doit se clore rapidement si on veut garder l'espoir d'un autre chapitre. Je tourne la page, imperturbable et sereine parce que j'ai réfléchi beaucoup sur le message précieux que nos dernières péripéties m'ont adressé : respecte-toi autant que tu voudrais qu'on te respecte, vois ensuite comment gérer avec les autres.

    Je tourne la page après 9 mois d'apprentissage d'une nouvelle écriture, d'une grammaire au concept si différent de mon mode pensée. Le chinois comme une autre langue et aussi comme une autre gestion de la pensée. Quand on doit réfléchir à conceptualiser autrement, on emporte aussi dans son quotidien des habitudes nouvelles. Et comme je tourne la page sur un succès, je sais que le chapitre 2 m'attend à la rentrée.

    Je tourne la page sur tellement tellement d'années de déni de ma capacité à séduire. Ce chapitre-ci, je n'avais pas pensé à en compter les pages, embarquée que j'étais dans la lenteur du récit, juste brinquebalée parfois vers le haut par la jolie vision de mes amis sur moi, des amis que je croyais juste aveuglés par leur bienveillance. Voilà, il est fermé pour de bon, je n'avais rien vu venir alors je me sens encore souvent perdue, j'hésite. Mais c'est bon aussi, ces nouveaux premiers pas ou presque.

    Je tourne la page de mes envies professionnelles, pour en dessiner de nouvelles. Mes espoirs ne sont pas possibles à remplir tout de suite alors je vais tenter du nouveau ailleurs et autrement, je vais réaliser d'autres souhaits que je pensais reporter. Je reprendrai cette histoire-là un peu plus tard, quand elle semblera de nouveau accessible.

    Je tourne la page sur des mois de pointillés, d'aventure, de trouille, de défi, de découverte et d'incompréhensions. Si je tourne consciemment cette page, c'est pour lutter contre ma nature et mieux fermer l'histoire, ne pas la laisser en plan jusqu'au moment où je déciderais de reprendre la lecture. Y parvenir est une fierté. Et puis surprise, il y avait un chapitre bonus, encore plus d'aventures et de péripéties. Un chapitre et peut-être même deux ? Moi qui voulais diminuer un peu le nombre de livres en cours...

    Je tourne la page et je regarde s'éloigner des décennies de dissolution de moi dans les obligations que je m'imposais vis-à-vis des autres. J'ai mis longtemps finalement à exister aussi dans le silence au milieu du groupe, aujourd'hui il me semble possible d'écouter sans participer. Je crois même que je suis bientôt capable de sérénité dans certains chapitres de ma vie. Pourquoi est-ce que je ne donnerais pas une couleur nouvelle au tome prochain après tout ? Un tome dans lequel mon existence individuelle m'autoriserait à ne donner de moi, de mon temps, de mes ressources, qu'aux gens que j'aime.

     

    Au bout du compte, je me rends compte que tourner des pages, ce n'est pas toujours dire au revoir. J'ai eu peur si souvent de turner des pages, alors que la page tournée n'oblige pas toujours à fermer l'histoire, il y a souvent le chapitre d'après voire même un tome supplémentaire. Au contraire, parfois le livre est terminé et c'est parfait, parce que rajouter un chapitre gâcherait tous les autres.

    Au fond, le paradoxe c'est que j'adore les nouvelles, ces aventures resserrées sur moins de pages mais dont la force est parfois justement dans la courteur, il me faut les accepter aussi dans la vie. Certaines aventures sont belles parce qu'elles ne s'inscrivent dans rien d'autre qu'un moment d'exception. Il faut que je tourne la page, que je cesse de laisser tous ces livres en plan à moitié lus avec la promesse d'y revenir plus tard quand je trouverai du temps, de l'envie.

    Soudain, à force de tourner toutes ces pages pendant les semaines qui viennent de s'écouler, je suis tellement plus légère. Tourner la page pour profiter plus simplement de moments de simplicité, sans la ritournelle de questionnements qui m'épuisent l'air de rien. Je peux me réconcilier enfin avec mes tentations contemplatives.

     

    Tu sais, tu me demandais hier, ma vision du bonheur
    Eh bien, chaque jour elle est plus nette, il ne me fera plus peur

     

  • La réconciliation

     
    Je me suis réconciliée avec Marguerite, oui, je peux l'affirmer. En fait, elle m'agaçait depuis si longtemps que j'avais coupé court à toute communication entre nous. Je ne lisais plus rien d'elle, pas même des extraits, ni des articles dans les journaux sur la vie de ctte femme hors du commun. Rien d'elle ne m'intéressait.
     
    On s'était rencontrées l'année du bac, par une analyse de L'Amant de la Chine du nord. On avait décortiqué jusqu'à n'en plus pouvoir le moindre de ses mots. Je me souviens que la seule chose que je retenais de ces heures de lecure et d'analyse était cette sensation d'ennui et de prétention de l'auteur aussi. Comme si rien ne pouvait être simple. Depuis le bac, donc, aucune lecture de Duras. Pourtant, on me disait souvent "mais je t'assure que c'est bien, faut que tu retentes !"
    Et puis on m'a offert un de ses livres. Il y a 7 ans maintenant. Il est resté sans bouger pendant tout ce temps. Enfin, si, il a bougé, il a déménagé 2 fois. Il est resté dans ma bibliothèque. On me disait parfois "oh, tu l'as aussi ? j'ai adoré!"
     
    Un jour enfin, j'ai décidé qu'il fallait que j'ouvre ce livre. Il est tout petit, au pire je passe une heure à m'ennuyer quoi...
    Dix heures et demie du soir en été.
    On est en Espagne déjà ça tombe mal.
    Bref...
     

    DURAS-dix-heures-et-demie.jpg

     
    Deux pages ou peut-être vingt pages plus tard, je ne sais pas, je me rends compte que je suis hypnotisée.
    Le rythme des mots magique. Les phrases complètement inhabituelles. Le travail évident sur toute la strcuture se ressent et pourtant, il ne gâche pas le plaisir de la lecture. J'ai bien senti que je me remplissais de la qualité de ce texte autant que de la magie de la lecture.
    Une fois fini, cette joie d'avoir profité d'une oeuvre et pas seulement d'une histoire...
  • les perles de petites joies

     

    Grignoter des cerises directement dans l'arbre entre deux verrines créées sur le moment, pour rendre dînatoire cet apéritif avec la voisine qui semble vouloir durer. Découvrir son jardin et la regarder sourire et s'animer alors qu'elle semblait si triste plus tôt dans la journée.

    En à peine plus d'une heure, on a réussi à parler voire débattre de la peine de mort, de l'évolution des performances scéniques de M et des endroits où il fait bon vivre, tout ça alors qu'on ne s'était jamais vu avant. Comme ça, sans temps mort mais sans précipitation non plus.

    Je respire par le ventre et je pars réaliser les défis que je me lance. Ça marche, ça avance, ça fait augmenter le cliquet de ma sérénité. (Si si je râle toujours, ne vous inquiétez pas c'est toujours moi!) J'ai réussi de belles choses, vécu des expériences uniques.

    De la pastèque au clair de lune d'un soir très frais, en parlant de soi et des autres, un petit caillou de plus sur le chemin de notre jolie histoire. Vue sur le sacré cœur et bienveillance des hôtes comme un cadeau supplémentaire.

    Pendant qu'il joue à la console, je regarde boardwalk empire. Pendant qu'elle cherche sur internet des info sur secret story, je lui demande ce qu'elle veut pour le petit dej de demain. Me voila à jouer à la maman pendant 2 jours avec ces enfants qui ne sont pas les miens mais que j'aime presque comme si.

    Le chinois, la communication, les outils informatiques... toutes ces formations comme autant de moyens de rencontrer les autres. Les autres comme 15 ans plus ou moins jeunes que moi, comme scénaristes ou informaticiens, comme mariés ou jamais casés, comme jamais d'accord. Comme autant de regards extérieurs sur moi pour m'assurer que j'ai raison de ne plus transiger avec moi.

    Il me semble que j'ai trop bu, pas au point cependant de dire que je suis saoule, mais juste avant, quand je peux m'extraire intégralement du moment sans plus craindre le jugement des autres. De toute façon, mon cerveau est épuisé de passer par toutes ces langues que je maîtrise plus ou moins bien, je vais plutôt renifler mon whisky.