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  • Jacques

    Il gratte, ce col de veste collé à sa nuque. Et puis ses petits cheveux sont tout collés de transpiration. Bientôt, ça va dégouliner sur sa chemise, c'est sûr. Les enterrements en pleine canicule, c'est toujours pire encore : on est triste, on est fatigué et on a très chaud donc on est encore plus hébété par l'évènement.

    Ce matin, en pleurant, il a supplié sa mère de lui donner l'autorisation de rester à la maison. Il ne se sentait pas la force d'assister à ces obsèques. La messe, les pleurs, la chaleur, les embrassades, les airs faussement désolés... Evidemment, maman a dit non. Catégorique. Sans appel. Injuste.

    Alors il est là, debout en plein soleil, assistant au remplissage lent et inexorable de la fosse où repose désormais le cercueil de Jacques. Jacques qu'il ne verra plus jamais puisque Jacques est mort mardi dernier.

    Jacques est arrivé dans sa vie il y a quatre ans déjà. Un samedi soir, maman, très stressée, a préparé un repas de fête. Il y avait même du gâteau au chocolat pour le dessert. Et pendant tout ce temps, elle a parlé, beaucoup beaucoup beaucoup. Elle a sursauté et rougi très fort quand la sonnette a retenti. Derrière la porte, il y avait Jacques et des fleurs et une grosse boîte de playmobils pirates. Lui, il préférait les lego. Mais bon c'est quand même bien les cadeaux et puis il est rigolo, Jacques.

    Un jour, on a emménagé chez Jacques. Et un autre jour, maman s'est mariée avec lui. Tout le monde trouvait que c'était bien pour elle, après tout ça faisait deux ans. Et pour lui aussi, ce serait bien, ce serait comme un nouveau papa après la disparition du sien. On allait pouvoir jouer au ballon, faire du bricolage. Chouette.

    Tous les étés, Jacques les a emmenés dans sa grande maison à la montagne. Rencontrer les marmottes, barboter dans le lac, ramasser des champignons, fabriquer des cabanes... Un mois et demi avec vue sur les hauts sommets enneigés toute l'année. Il aurait bien aimé aller aussi un peu à la mer. Ça lui avait manqué. Alors au retour des vacances, il a demandé à maman et Jacques : « Est-ce que la prochaine fois on pourra aller à la mer ? » C'est que Jacques il n'aime pas trop la mer, il fait trop chaud, c'est bondé de monde. La montagne c'est bien mieux. Peut-être qu'on pourrait faire les deux alors ? A-t-il insisté, supplié presque. Sans succès.

    Cette année comme chaque année, après les vacances de février, il a demandé si l'été prochain, on pourrait aller à la mer. Et comme chaque année on a refusé. Au début il a vraiment été en colère, avec Jacques c'était toujours pareil, on ne pouvait jamais faire ce qu'on voulait, il avait toujours des idées ennuyeuses. Jacques a haussé le ton et maman était d'accord. Vexé, il ne leur a plus parlé pendant des jours. C'est l'entrée au collège, la 6ème ça perturbe toujours les enfants, personne ne s'est ému.

    Et puis il s'est rendu compte que ça ne mènerait nulle part. Il a présenté ses excuses, décidé de faire des efforts pour rendre l'ambiance plus sereine. Il a même proposé à maman de porter lui-même le café de Jacques au lit tous les matins. Tout le monde a été rassuré devant ce retour de bonne volonté et maman lui a fait un grand sourire content. La 6ème, ça perturbe en effet les enfants.

    Et tous les matins il a porté un café à Jacques qui lui disait « bonne journée, mon bonhomme » Mais un matin, maman l'attendait en larmes devant la porte : pas de café ce matin, Jacques était mort la nuit dernière. Il s'est aussitôt enfui pour réfléchir seul à cette nouvelle.

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    crédit photo
    3oheme

    En avril dernier, le deuxième matin, il avait été étonné de voir Jacques en pleine forme dans le lit. Il a posé la tasse de café sur la table de nuit en tremblant et a couru dans le jardin. Non, il ne s'était pas trompé, la tête de mort sur la bouteille était sans ambiguïté : ces granules étaient toxiques, mortels même. Pourquoi Jacques était-il encore en vie alors ? Peut-être fallait-il juste être patient.

    Alors il l'avait été : chaque matin, il mettait un sucre et un granule d'engrais dans le café de Jacques. Il remuait lentement afin de dissoudre le tout, posait la tasse sur une jolie sous-tasse et allait dire bonjour, sourire aux lèvres, à Jacques qui lui demandait souvent de rester, de discuter un peu.

    Au bout de quelques semaines, Jacques était tombé malade, un affaiblissement que personne n'avait pu s'expliquer. Encore quelques semaines et Jacques ne quittait plus son lit, beaucoup trop affaibli. Et mardi matin, il était mort.
    Ce matin, quand il a pleuré pour ne pas aller au cimetière, maman l'a embrassé sur le front et lui a dit d'être raisonnable. Elle sait que c'est difficile mais elle a promis que dans dix jours ils partiraient en vacances, tous les deux, pour se changer les idées.

    A la mer.