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Sous le déluge total, dans la souffrance des pieds totale mais dans le bonheur total : Philadelphia I kiffed you.
Et comme j'ai de VRAIES références musicales et que je peux pas vous poster de photo vu que je squatte le wifi d'un inconnu :
J'ai eu la chance d'avoir quelques chefs de folie dans ma pourtant très jeune carrière. L'un d'entre eux est une sorte de génie, un pur esprit complètement dans son monde qui tient des raisonnements de fou, pense plus vite qu'il ne parle, coupe des morceaux de son argumentation parce que ça lui paraît évident qu'on suit tous...
Certains jours, il arrive au bureau, traverse l'open space où il a choisi d'avoir son bureau alors qu'il pourrait être seul, s'assied à sa place et enchaîne direct la rédaction d'une note à laquelle il a visiblement pensé pendant son trajet. Quand j'arrive pour lui parler une heure plus tard, je le trouve son cartable sur les genoux et son imper toujours sur le dos en train de taper frénétiquement sur son clavier. Il a l'air de se réveiller d'une transe quand il lève la tête. Un savant fou en somme.
Il est très spécial et fait globalement assez peur aux gens. Il peut être particulièrement désagréable avec ceux qu'ils taxent de médiocrité et se délecte de la peur qu'il inspire.Moi j'avoue, il m'impressionne encore alors que ça fait 4 ou 5 ans qu'il n'est plus mon boss. En réunion avec des gens plutôt balaises, je l'ai déjà vu vider le contenu de son cartable pour trier ses stylos parce qu'il s'emmerdait. Ou alors sortir une banane et m'en proposer un morceau parce que c'est l'heure du goûter. Tout le monde atterré sauf moi qui ai appris très tôt à rester stoïque et à accepter ce chef un peu spécial. Quand il réfléchit, joue avec l'interrupteur de la lumière. Sauf que y a 10 autres personnes dans l'open space...
Le hic, le vrai, dans notre relation, c'est qu'il a décidé très tôt de me donner un prénom qui n'est pas le mien. Pour une raison que j'ignore, au lieu de m'appeler "Emilie", il m'appelle depuis toujours "Mélanie". Ca ressemble un peu, je le conçois, mais c'est pas la même chose !!
Au début, je n'osais pas même le reprendre.
Au bout de quelques semaines, j'ai tenté la méthode subliminale : "bonjour, c'est Emilie" annonçais-je très fort quand je lui téléphonais alors que mon nom s'affichait sur le cadran. Je signais tous mes courriels de mon seul prénom... Rien n'y a fait.
Alors j'ai fini par le reprendre directement : "ah non, moi c'est Emilie" Seul, devant des gens, je ne le laisse plus faire l'erreur. Pensez donc, ça n'y change strictement rien.
On a atteint les sommets quand j'ai reçu une note de sa part sur laquelle je devais lui donner mon avis. Dans la note, il écrit : "Après consultation de Mélanie blablabla..." Bon, là, après 7 ans, avec tout le respect que j'ai pour lui, la peur qu'il me fait parfois, il m'a fallu respirer un grand coup avant de lui signifier clairement mon opinion. Voici ce que je lui dis :
"Pour ce qui est du contenu même de la réponse que vous vous proposez d'envoyer, mis à part le fait que je m'appelle Emilie et non Mélanie, je ne vois évidemment pas de précisions à y apporter."
Il est des rencontres inattendues.
Comme ce banquier qui ne m’aurait je pense jamais lancé un regard s’il n’était pas le meilleur ami de mon cousin. Pas qu’il m’aurait trouvé repoussante et/ou inintéressante, non (enfin je ne crois pas). Plutôt que je ne fais pas partie a priori du schéma de vie sociale qu’il s’est fixé.
Il est drôle, très drôle. Cultivé, très cultivé. Et intelligent aussi, ce qui ne gâche rien. Enfin si, ça gâche parfois un peu : ça crée des complexes même à la bavarde que je suis…
Il aime à faire croire que la vie glisse sur lui, qu’il est parmi nous en observateur. Je crois d’ailleurs qu’il a rayé les mots spontanéité et naturel de son vocabulaire, tout est tendu vers un objectif dont j’ignore les contours. Une idée de perfection peut-être ? De réussite probablement.
En même temps, c’est un foufou. Un rien dérangé et en marge, il fait des expériences culinaires, chante des trucs complètement débiles, observe, parle de n'importe quoi, lance des
Je le ressens aussi tout fragile, je crois. Et puis du genre à être à la merci de la fille dont il serait fou et qui pourrait faire de lui tout ce qu'elle voudrait. Parce qu'on ne peut pas être aussi détaché, je n’y crois pas...
Ceci dit, j’ai beaucoup d’affection pour le banquier. Je ne sais pas pourquoi. C’est d’autant plus inexplicable quand on sait que j’ai dû le voir une demi-douzaine de fois et lui parler genre 3 heures max en tout. Malgré nos différences profondes et malgré le fait que je n'ai aucune idée de ce qu'il pense de moi, donc. Malgré le fait qu'il me mette un peu mal à l'aise et que je me sente parfois disséquée.
Bref.
L'autre jour, le banquier a organisé une soirée.
Et je m'y suis incrustée par le biais de stratagèmes inavouables.
Une soirée pleine de gens en théorie comme lui. Des filles (non non, pas des femmes) portant le même uniforme quelle que soit leur profession, des mecs connaissant tout de la vie et faisant de la provoc à deux balles. Le mec un peu à la marge dont la mission la plus importante est de prendre des photo inoubliables, celui qui se donne un genre de sale con en théorisant sur la supériorité de l'européenne sur la russe parce qu'elle vieillit mieux, celui qui se prend pour les cahiers du cinéma et réussit à voir de la métaphysique dans Brice de Nice (qu'il n'a vu que par hasard ça va de soi), celle qui crache sur la culture populaire mais qui mine de rien connaît par coeur le nom des 3 derniers gagnants de la Starac.
Et tout ce petit monde imbu de lui se regarde vivre et exclue de fait tout nouveau ne faisant pas partie de leur caste.
A part 2 ou 3, la majorité d'entre eux ne font même pas semblant de prendre acte de ma présence. Ils discutent entre eux, m'ignorent superbement. Je fais donc de même. Ne me force pas. C'est l'avantage du mépris mondain, le compliment se retourne sans gêne. Je les observe et me demande si je suis aussi sclérosée socialement qu'ils ont l'air de l'être. Je me détache, joue les entomologistes et me déteste de ne pas avoir l'audace ni la droiture de tout simplement partir.
Et puis je me demande : qu'est-ce qui fait avancer le banquier ? Se sent-il lui aussi parfois seul au milieu de cette convivialité qui semble un peu forcée ? Ou suis-je seulement en train de projeter mes fantasmes ?