Celui qui part, c'est celui qui prend la décision de tout casser. Non qu'il soit toujours le seul à y penser mais c'est celui qui choisit un jour de prendre à son compte la fin de l'histoire.
Celui qui part, parfois c'est un salaud parce qu'il emporte les meubles, parce qu'il revient jamais d'acheter des clopes, parce qu'il s'installe direct avec sa nouvelle famille, parce qu'il ne pleure pas, parce qu'il fait de la peine à celui qui reste... surtout parce qu'il fait de la peine à celui qui reste.
En vrai, souvent, celui qui part il est tout perdu. Parfois, il a passé des semaines sans sommeil paisible sentant qu'un truc cloche mais quoi ?... Et puis il a très peur de ce qu'il va faire subir à celui qui reste. Il est inquiet aussi de la réaction des gens à son encontre.
Quand il rencontre ses amis, la plupart du temps, la première question est "Comment va celui qui reste ? Il s'en sort, le pauvre ? " alors celui qui part n'ose pas toujours dire que lui non plus, ne va pas très bien. Du tout du tout voire. Après tout, il est un salaud et les salauds n'ont pas de coeur c'est connu.
Celui qui part, de fait, on l'écoute beaucoup moins que celui qui reste. En même temps, ce n'est pas lui qui souffre, il a décidé, il a choisi, il ne subit pas les caprices d'un autre. Celui qui part ne peut pas à la fois être acteur de son destin et s'en plaindre, en être malheureux.
Alors faute de pouvoir parler de ses peurs et de sa douleur, celui qui part se recroqueville un peu chaque jour sur l'horrible sensation de méchanceté que lui renvoient inconsciemment les réactions des autres qui plaignent celui qui reste. La culpabilité le rattrappe comme un raz-de-marée quand ses amis lui racontent combien c'est dur pour celui qui reste. Et la douleur aussi, quand on lui assène que celui qui reste l'insulte souvent (ca le soulage, faut le comprendre...).
Socialement, il y a la victime et le bourreau.
Je le sais, je me souviens des heures entières pendant lesquelles on a expliqué devant moi combien celui qui est parti était un salaud. J'ai remarqué que souvent, celui qui part, on lui met de grandes claques lors de réunions de soutien à celui qui reste.
Et quand on est le bourreau, comment se fait-on entendre ? Est-ce qu'il a le droit de pleurer, le bourreau ? Par qui est-il écouté ? Est-il écouté ?
Pas toujours très bien, il faut le dire.
Celui qui part, il emporte pas toujours l'argenterie, il a pas toujours une nouvelle histoire en cours à côté, il a pas toujours appuyé sur le bouton OFF de ses sentiments.
Celui qui part, parfois, il a juste senti avant celui qui reste que ce sera mieux pour tout le monde si ça se termine. Et il en est atrocement malheureux parce qu'il doit faire le deuil de ses espoirs d'avenir mais en silence, en secret.
Parce qu'il n'a pas la légitimité de la douleur alors il pleure secrètement tous les soirs en se couchant, tous les matins sous la douche, pendant des jours et des jours.
Alors, je suis souvent celle qui tente de défendre celui qui part. Parce que j'ai été celle qui part. Et je vous jure, ça fait un mal indescriptible même si on ne se sent pas toujours autorisé à le dire...