Les vacances dans la famille en Italie, c'est... euh... c'est...
Écouter ma grand-mère me demander au moins une fois par jour si j'ai un chéri ou si au moins je le cherche. Si je me rends compte qu'à mon âge, ben ça devient très critique comme situation. Ma cousine qui n'a que 28 ans a trouvé, ELLE !
M'entendre dire, toujours par ma chère grand-mère, que peut-être je devrais faire comme elle, et supprimer un repas par jour, rapport à mon poids si je vois ce qu'elle veut dire... Et puis suis-je obligée de me resservir des pâtes ?
Faire attention aux info que tu donnes à la famille. L'intimité et la discrétion n'existant pas, il faut moins d'une heure pour que le boucher te demande si tu gagnes bien 8.500 euros par mois, que la marchande de chaussure te félicite pour ton nouvel appart ou que la cousine au 20ème degré te demande si ça va ce matin, malgré tes règles arrivées plus tôt que prévu.
Avoir 4 ans à nouveau et ne plus être autorisée à penser comme un être doué de raison dès que mes tantes sont dans les parages : "non laisse la vaisselle, je vais la faire !" "tu es sûre que tu ne veux pas mettre de sucre dans ton café ? il est très fort ici, tu sais..." "il faut toujours éteindre le gaz quand on a fini de s'en servir.." "attends maman avant de brancher la machine, elle sait mieux le faire..."
Ecouter la 12.000ème histoire de disputes entre tantes, toujours avides de prendre à partie ceux qui ne sont pas là toute l'année, toujours arrêtées sur les mêmes 2 sujets de discorde.
Ne rien pouvoir organiser de façon simple : tout le monde a son avis, son mot à dire, son raccourci préféré ou son bon plan. Tu peux pas décider tranquillou de ton programme. Et puis pas ce jour, je voulais justement vous inviter à manger. Quoi t'as acheté des pâtes blublu ? mais enfin j'avais prévu tout à fait autre chose.
Surtout, parce que je ne suis pas masochiste quand même, faut pas déconner, c'est...
Marcher dans le soir tout frais en compagnie de ma famille. Je peux écouter maman raconter pour la 34ème fois les mêmes anecdotes mais c'est pas grave pour une fois, ragoter entre soeurs sur la nouvelle tenue de la voisine ou la tronche du mec de la cousine, aller écouter le énième concert de musique folk (comme dans folklorique... non mais vraiment...) avec papa qui aime se trémousser sur la tarentella.
Manger de la mozzarella, de la vraie, celle au lait de bufflonne fabriquée par le fromager au bas du village et qui est si fraîche qu'elle est encore crissante sous la dent. (sensation indescriptible à tous ceux qui n'ont pas pu manger de ce fromage directement sur son lieu de production, la consistance de la mozzarella n'a tellement rien à voir avec le contenu des sachets galbani !)
Profiter de la vie qui a tendance à s'écouler selon un rythme si différent de celui qui passe ailleurs. Comme si les journées avaient plus d'heures. Non, plutôt comme si chaque seconde durait un peu plus longtemps, autorisant à ralentir le pas sans pour autant perdre de temps. Faire la sieste y est juste logique du coup.
Aller chercher des champignons dans la forêt de châtaigners, en converse, donc se piquer aux bogues qui traînent par terre et dont les épines traversent la toile des chaussures. Comme le sol est tapissé de fougères, il faut impérativement le bâton de l'aventurière pour se frayer un chemin au milieu de la nature hostile. On trouve rien ou presque mais on s'en fout, quand on lève la tête, on voit les belles montagnes au soleil. Et on revient avec un bouquet d'origan.
Boire l'eau de la montagne qui arrive directement à la fontaine depuis sa source. Elle est très très froide, presque glacée. Ça chatouille un peu et on s'en met plein le visage. On y croise des jeunots qui tentent d'emballer des greluchettes et des papis qui viennent remplir leur bouteille pour en avoir à la maison.
Parler avec les mains et avec les mots locaux, faire plein de fautes de grammaire mais on s'en fout parce que c'est le seul moment où je me sens libre de parler cette langue qui m'est si chère. J'aime aussi le mélange de mots français et italiens qu'on mêle tous allègrement pour discuter entre cousins. C'est tellement bon de n'être entourée que de cette langue roulante et chantante.
Préparer chaque matin le petit déjeuner que je préfère au monde : frese aux tomates, huile d'olive locale et origan de la montagne. Comme un rituel immuable alors que je ne prends pas même un verre d'eau quand je suis dans ma vie de tous les jours.
Et plein d'autres choses : la pizza à 3 euros, la couleur turquoise foncé du ciel, l'odeur de la gare en descendant du train, la mer si salée qu'on y flotte sans bouger, le goût de la première sfogliatella, les disputes en pleine rue pour en faire profiter tout le village, mon tonton girafe, la vue sur les dômes vernis depuis le train, le bordel napolitain, les champs de pastèques... l'envie de rester encore, de revenir vite même si je sais que ce morceau de moi, aussi grand soit-il, finit par être submergé par celui qui a été élevé en France.