J'ai peut-etre pas le permis de conduire mais la rue et ses codes je connais : le bonhomme vert ou rouge, le passage piéton, le feu clignotant ou l'absence de feu, je gère ce situations. Regard à gauche, à droite, furtif coup d'oeil à droite hop je m'élance. Je n'ai pas peur, je suis entraînée. Je marche souvent dans les rues -parfois même sans témoin ni personne- et je n'ai jamais eu à déplorer de problème particulier.
Je sais traverser la rue.
Je crois même pouvoir dire sans prétention que je maîtrise le niveau 2 à l'aise.
La preuve ? J'ai eu l'occasion de pratiquer dans des pays où la conduite se faisait à gauche. Il me faut moins de 2 heures pour inverser la procédure et passer intuitivemet au droite / gauche / droite.
Dans une telle situation, vous comprendrez sans peine que j'étais des millions de fois plus stressée à l'idée de me faire comprendre par les chinois et d'envahir l'espace de mon hôte pendant 2 semaines qu'à l'évocation anticipée de mes pérégrinations pédestres.
Grave erreur.
A Shanghaï, tu ne traverses pas la rue, tu sauves ta peau.
L'ordre des regards est quelque chose comme : gauche, droite, gauche, derrière, re-droite, en face ça peut pas faire de mal, gauche. Y a personne ? Je me lance.
Il y a une voiture ou un scooter voire même un vélo au loin, la question que je me pose n'est pas : "aura-t-il le temps de s'arrêter voire de ralentir" mais "ai-je le temps de sortir de sa trajectoire avant son arrivée ?"
Si la réponse est non, je patiente.
C'est pas une blague.
Je prends pas la démarche décidée de celle qui sent que la voiture s'arrêtera. Parce que rien n'est moins sûr.
Après 2 heures sans escorte locale et un rétroviseur qui a touché mon sac à main, j'ai compris que stop les conneries.
48 h plus tard, je pense que je m'approche du niveau 3 du diplôme de traversée de rue.
Quelques règles à connaître :
- le piéton n'est ja-mais prioritaire
- la couleur du feu n'est pas une indication suffisante pour autoriser à traverser
- la présence ou l'absence de passage piéton n'influe en rien sur le comportement des gens sur la route
- se faufiler sournoisement au milieu d'un groupe de locaux n'immunise pas contre la mort
Petit exercice : je vois la chose suivante et une voiture plutôt très loin.
A- Je traverse ?
B- Je m'arrête ?
Je m'arrête.
D'abord parce que je pense que c'est le seul stop de la ville. Qui saura reconnaître son usage ?
Ensuite parce que le passage piéton ne mène nulle part. Vous allez droit dans un muret et une haie !
Blog me tender - Page 13
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Jour 1 et suivants : apprendre à traverser
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L'odeur de Shanghai
Ce que j'attendais le plus, c'est de savoir ce que sentiraient mon nez et ma peau. (ce que j'attendais le plus, c'est exagéré... Mais quand même c'était très important, si.)Alors : Ça sentait la soupe quand l'avion s'est ouvert. À la douane aussi. Et aussi un peu le produit qu'ils vaporisent au pressing pour te dire que c'est un établissement sérieux.Au niveau des bagages, la soupe a laissé la place à l'antimite.Et puis plus rien. On marchait dans la rue.Ca ne sentait plus rien du tout. Juste l'air chaud et doux.Les chatouilles dans le dos parce que le vent secouait mes cheveux, l'osmose de température, comme si l'intérieur et l'extérieur avaient fusionné par porosité. Le velours d'Hanoi, en moins herbéluée.Le moment chair de poule, celui où tu te dis que c'est ça, c'est là, c'est.Celui où tu t'inquiète, si tu respirais trop fort, que tout se vaporise. Alors j'ai fermé les yeux l'espace d'un instant, et j'ai soupiré.Et rien n'avait disparu.Quasi aucune voiture, peu de piétons, si on ajoute les platanes qui bordent les allées, j'ai pensé que j'arrivais dans une ville paisible. Je croyais que c'était dû au quartier, ce calme. Mais j'ai compris le lendemain que c'était vraiment juste momentané.Je crois qu'en fait, Shanghai avait mis les gens à la porte pour mieux m'accueillir.Et ça a marché. -
Les signes que le départ c'est bientôt
Quand j'ouvre mon appli météo, c'est pas ici mais là-bas que je regarde en premier. Aujourd'hui par exemple, il ferait limite frais mais trop humide.
Cendrillon a reçu un mail de 14 pages posant toutes les questions existentielles que je me posais. Il est plutôt du genre patient il me semble, vu qu'il n'a pas encore annoncé que finalement, il serait pas là pour m'accueillir, un imprévu de dernière minute, trop bête...
Les gens me demandent tous : "c'est quand, déjà, que tu prends l'avion ?"
Je réfléchis au contenu de ma valise. Je reprends mes habitudes de liste pour ne rien oublier. Un peu trop pilote automatique quand même : après 24 heures, j'ai soudain réagi que non, pas besoin d'emporter du thé, j'en trouverais sur place.
Au téléphone, ma mère me demande l'air de rien si je pourrai lui dire que je suis bien arrivée.
Les amis de cendrillon m'expliquent que c'est trop un mec sympa, qu'il faut pas que je m'inquiète, que trouver quelqu'un de plus aimable c'est limite pas possible. Je crois qu'ils disent ça pour me rassurer mais moi, je trouve ça louche cette insistance. Je sens qu'en fait c'est un psychopathe.
Un vent d'organisationite aiguë s'est abattu sur mes clients. Tous leurs dossiers doivent soudain être réglés pour le 13.
J'ouvre mon agenda au mois d'octobre pour organiser des déj ou des apéros.
Mon passeport contient un nouveau visa.
我怕
我期待着
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Tortue
J'aime ce moment où tout est parfaitement silencieux, enfin. Pas encore le son des oiseaux dans le parc, aucun cri de passant en ébriété, plus de voitures dans la rue pas même au loin. Il n'y a que le bruit de la pulpe de mes doigts et parfois le cliquetis de mes ongles sur l'ecran de ma tablette.
Comme une tradition depuis quelques mois, je finis ma journée sur le compte-rendu croisé de ma journée et de celle de mon jumeau. Nouveauté, je disais en même temps bonjour de l'autre côté des fuseaux horaires. Magie des technologies modernes qui rendent proches ces lieux et temps impalpables. La bougie est soufflée.
Fin de la journée. Extinction imminente de l'écran. Par la fenêtre et les volets ouverts, je regarde dans la pénombre se balancer mes t-shirts sur l'étendoir.
On vient d'entrer dans mon moment climatique préféré : il fait frais la nuit et je ne laisse dépasser que le bout de mon nez et mes pieds, enveloppée dans ma couette comme une tortue. J'attends que le sommeil vienne.
Je viens de dire bonne nuit à mon jumeau, qui a 6 heures de retard sur moi, j'ai vérifié au cas où que non, je ne pouvais pas retarder l'heure du réveil pour cause de réunion, j'ai renoncé à un épisode de plus de Glee, c'était déjà beaucoup d'émotions, ce numéro 13.
Je respire l'odeur de la lessive sur l'oreiller tout propre, du savon à la rose au creux de mon coude glissé sous ma tête. Je voudrais que ce moment dure toujours. Je n'ai pas encore de stress à l'idée du boulot tout à l'heure, j'ai des sourires rémanents de ce week-end improvisé, quasi aucune question de fond pour m'hypnotiser vers le sommeil.
Je rallume l'écran.
Je voulais fixer ce moment.
Cette nouvelle semaine va être chaotique, merci pourtant de commerncer par ce premier moment de grâce.